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Parc national de Taï
Situation
Sur la base de la mise en réserve décidée dès 1926 d’un immense massif de forêt dense humide sempervirente alors intact dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire entre les fleuves Sassandra et Cavally, le Parc national de Taï (PNT) et la Réserve partielle naturelle de Faune du N’Zo (RPFN) attenante ont été créés en 1972.
Le massif est partagé entre les régions de la Nawa, du San-Pedro et du Cavally.
Gérées par l’Office Ivoirien des Parcs et Réserves (OIPR) à travers sa Direction de Zone Sud-Ouest (DZSO) en un seul massif sous la seule dénomination de < Parc national de Taï (PNT) >, les deux unités PNT et RPFN couvrent une superficie de 536.016 ha.
Le PNT représente 25% de la superficie totale du réseau de 17 aires protégées en Côte d’Ivoire.
Biodiversité
Le PNT est le plus vaste massif de forêt dense humide d’Afrique de l’Ouest sous stricte protection.
Sur 98,4% de sa superficie, il est occupé par un couvert forestier naturel caractérisé pour la plus grande partie par divers types de formations de forêt sempervirente, déterminées par une pluviométrie annuelle supérieure à 1.600 mm, les 1,6% restant étant essentiellement occupés par le plan d’eau du lac de Buyo et, les pentes dénudées du mont Niénokoué.
Le patrimoine floristique du PNT est unique, riche de plus de 1 200 espèces, avec 273 classifiées comme rares ou endémiques (Van Rompaey et al., 2001). Parmi ces espèces, Adou Yao et al. (2002) indiquent que 73 ont un grand intérêt pour la conservation des forêts d’où l’importance du PNT en tant que réservoir d’une biodiversité unique de la sous-région ouest africaine. Cette flore est comparable à celle des parcs nationaux de Grebo-Krahn et de Sapo plus à l’ouest au Liberia, ce qui contribue à la spécificité du paysage Taï – Grebo-Krahn – Sapo.
L’endémisme sassandrien se situe essentiellement au niveau des espèces, à l’exception de quelques genres : Triphyophyllum, avec une unique espèce lianescente localement abondante, de la famille des Dioncophyllaceae ; Monosalpinx (Rubiaceae), une seule espèce connue en Côte d’Ivoire ; Polystemonanthus (Caesalpiniaceae) et Kantou (Sapotaceae) avec l’unique et rare espèce Inhambarella guereensis, arbre sacré des Guéré.
Le parc renferme 42% des espèces végétales classées en Côte d’Ivoire comme « rares et/ou menacées » sur la Liste rouge de l’UICN (2016).
La particularité du PNT se mesure aussi par sa faune. Il renferme plus de 90% de la faune forestière d’Afrique occidentale, composée de 146 espèces de mammifères (éléphant de forêt, hippopotame pygmée, léopard, buffle de forêt, hylochère, pangolin géant, singes à queue, chimpanzé, céphalophes, etc.), de 234 espèces d’oiseaux dont 15 d’intérêt mondial dont la pintade à poitrine blanche, la chouette-pêcheuse rousse, le picatharte chauve de Guinée, etc., de 56 espèces d’amphibiens, de 42 espèces de reptiles et près de 300 espèces d’insectes. 65 espèces de poissons ont été recensées dans les eaux des rivières qui le traversent.
Le Touraco géant (Corythaeola cristata) est une espèce d’intérêt culturel pour le peuple Patokola au sud-ouest du parc.
Comme pour la flore, certaines espèces de faune et sous-espèces chez les Primates sont rares et/ou endémiques d’Afrique de l’ouest comme le Céphalophe de Jentink (Cephalophus jentinki), strictement à l’ouest du Sassandra, le Céphalophe zébré (Cephalophus zebra) et le Chimpanzé d’Afrique occidentale (Pan troglodytes verus).
Lui aussi endémique d’Afrique de l’ouest et « vulnérable » selon l’UICN (parmi près de 43 espèces mentionnées sur la Liste rouge de 2016), l’hippopotame pygmée (Choeropsis liberiensis) a sa plus importante population au monde dans le PNT.
En raison de cette richesse exceptionnelle, le PNT bénéficie du statut de Réserve de la Biosphère depuis 1978 et il a été inscrit sur la liste des Sites du Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1982. Ces reconnaissances internationales lui confèrent le statut de massif forestier d’importance mondiale.
Pressions et menaces
L’orpaillage clandestin est pratiqué dans la partie Est du PNT le long de la rivière Hana. A l’extérieur du parc, cette activité se pratique tant à l’est qu’à l’ouest dans les rivières et bas-fonds du domaine rural et des forêts classées. Ces activités illégales détruisent les sols et les habitats, et polluent les cours d’eau.
Après l’orpaillage qui est localisé, le braconnage constitue l’autre pression importante sur l’aire protégée et il s’étend sur toute sa surface. Il est pratiqué à l’aide de pièges à collet et de fusils de type calibre 12. Les céphalophes et les singes constituent les principales espèces chassées.
Pour ce qui est de la pêche illégale, certains pêcheurs exploitent le lac de Buyo en utilisant des filets à mailles trop petites et ne respectent pas les zones de frai protégées. En conséquence, la ressource halieutique s’appauvrit et certaines espèces ripicoles (loutres, tortues et reptiles, oiseaux d’eau …) se raréfient.
Malgré la forte pression existant sur le foncier rural en périphérie du parc, les défrichements à des fins agricoles ont pu être contenus par des actions fortes dans le passé et par la surveillance constante exercée sur le terrain. Néanmoins, cela constitue une menace forte qui encourage à rester vigilants.
En termes de menaces indirectes sur le plan écologique, il faut relever d’abord l’insularisation du PNT en raison de la très forte occupation agricole (à plus de 95%) des terroirs sur toute sa périphérie, y compris dans les forêts classées appartenant à l’espace Taï, ce qui créée un isolement des populations de faune et de flore avec à terme un risque d’appauvrissement génétique pour ces espèces.
A la pollution des cours d’eau par les produits utilisés dans l’orpaillage, vient s’ajouter celle qui est liée aux intrants agricoles (produits phytosanitaires et engrais chimiques) utilisés inconsidérément autour du PNT. Cela concerne les bassins amont des rivières Hana, au nord-est du parc, et N’zè, au nord-ouest, ainsi qu’au nord, les berges du lac de Buyo au niveau de la Réserve de faune du N’Zo. Les conséquences néfastes sur la faune aquatique et sur ses prédateurs (ainsi que sur la santé des communautés utilisatrices de cette ressource en périphérie) sont inévitables.
Enfin, une menace encore mal mesurée est celle du dérèglement climatique avec des modifications à attendre en termes de fréquence et d’intensité des épisodes pluvieux et de difficultés pour la fructification et la régénération de certaines espèces végétales.
Gestion
Le PNT est doté depuis 1997 d’un plan d’aménagement et de gestion (PAG), périodiquement révisé de manière participative par l’OIPR et les parties prenantes à la gestion, pour des périodes de 10 ans. Le dernier PAG validé court de 2020 à 2029. Une planification-budgétisation annuelle est assurée pour la mise en œuvre de ce document.
Un Comité de Gestion local (CGL) veille à la participation des parties prenantes à la gestion du parc. Ce comité est composé de représentants des autorités administratives, des collectivités territoriales, des communautés locales, du secteur privé et de centres de recherches et d’enseignement supérieur, auxquels s’ajoutent les partenaires techniques et financiers associés à la gestion du PNT.
Classiquement, les plans d’aménagement et de gestion s’organisent autour de 6 programmes : (i) la surveillance, (ii) le suivi écologique et la recherche, (iii) l’appui au développement local ou « mesures riveraines » et (iv) la valorisation (communication & éducation pour la perception des valeurs de conservation et services écosystémiques, promotion de l’écotourisme), (v) les infrastructures et équipements, (vi) le management. Dans le dernier PAG, le programme (vi) a été renforcé par le concept de la collaboration transfrontalière pour une gestion concertée du paysage Taï – Grebo-Krahn – Sapo.
La gestion actuelle permet l’atteinte des résultats escomptés notamment pour les réponses apportées aux pressions et menaces directes sur le PNT, comme en témoignent les appréciations portées par l’UNESCO pour les Réserves de Biosphère et les Sites du Patrimoine mondial, ainsi que dans l’usage des outils IMET (Integrated Management Effectiveness Tool), METT (Management Effectiveness Tracking Tool) et EoH (Enhancing our Heritage) pour mesurer périodiquement l’efficacité de la gestion du parc et formuler des recommandations.
Au vu de ces résultats et dans sa vision continue d’amélioration de la gouvernance de ses aires protégées, à travers l’OIPR, la Côte d’Ivoire s’est engagée depuis 2017 dans le processus de la « Liste Verte » des aires protégées et conservées de l’UICN, certifiant une aire protégée pour sa bonne gestion démontrée par des résultats probants et durables en matière de conservation de la nature et des bénéfices pour l’homme. La candidature du PNT pour la Liste Verte a été soumise au groupe d’experts de l’UICN en 2023, pour son analyse.
Contributions des projets TGS de la coopération allemande
La coopération allemande accompagne depuis près de 40 ans le gouvernement ivoirien pour la gestion durable du PNT (renforcement de capacités, surveillance, suivi écologique, recherche, développement local, etc.) et elle s’est naturellement mobilisée en 2009 pour s’associer à un effort de collaboration transfrontalière initié par les gouvernements du Liberia et de Côte d’Ivoire avec leurs partenaires dans le paysage Taï-Grebo-Sapo pour la conservation de sa biodiversité exceptionnelle.
Deux nouveaux projets ont été lancés, qui ont démarré respectivement en fin 2015 et début 2017 :
- Le projet « Renforcement de la connectivité écologique dans le complexe forestier Taï-Grebo-Sapo entre la Côte d’Ivoire et le Liberia », mis en œuvre par la GiZ, et
- Le projet « Conservation de la biodiversité dans le complexe Taï-Grebo-Sapo », financé par la KfW et mis en œuvre par le consortium AHT-CSRS.
Les partenaires principaux pour la mise en œuvre sont le MINEDD (Ministère de l’Environnement et du développement durable) et l’OIPR en Côte d’Ivoire et la FDA (Forestry Development Authority) au Liberia. L’Union européenne a proposé en 2019 à la GiZ de venir renforcer son projet TGS par un cofinancement dans le cadre du PAPFor (Programme de Préservation des écosystèmes forestiers en Afrique de l’ouest). Cette action a démarré en juillet 2020.
L’idée de base de ces 2 projets est de favoriser une connectivité entre les 3 aires protégées du paysage TGS, dont le Parc national de Grebo-Krahn qui a été créé sur base de la « Grebo National Forest » en 2017 (avec un appui du projet TGS-GiZ), pour renforcer son ancien statut de conservation. Répondant au souci de l’insularisation des aires protégées déjà évoqué pour le PNT, la « connectivité écologique » est un processus complexe qui doit permettre les échanges de populations de faune (surtout) et de flore, soit par des corridors boisés continus, soit par une trame discontinue d’espaces boisés. La bonne gestion des aires protégées ainsi reliées ainsi que la participation active des communautés riveraines sont prises en compte dans les projets.
En ce qui concerne l’ouest de l’espace Taï, entre le PNT et le fleuve Cavally, le projet TGS-GiZ travaille sur les appuis à la gestion durable de forêts résiduelles (18 forêts villageoises, les berges des rivières Hana, Méno et Moumo) et la promotion de systèmes agroforestiers devant permettre le maintien ou le retour « de l’arbre » dans un paysage rural déforesté. Pour la revégétalisation forestière des berges de la Hana, le projet TGS travaille en partenariat avec Beyond-Beans, fondation d’Export Trading Group (ETG), multinationale de négoce et de transformation de produits agricoles (dont le cacao), qui appuie les bonnes pratiques agricoles avec des formations et des kits d’intrants fournis chaque année comme paiements pour services environnementaux pour libération d’une partie de leur plantation à la régénération naturelle et adoption de pratiques agroforestières.
Pour l’agroforesterie, TGS s’appuie pour ce dernier point sur la présence antérieure chez des planteurs du département de Taï d’une espèce forestière, le Makoré – Tieghemella heckelii, des fruits duquel un beurre à usage alimentaire et cosmétique peut être extrait.
Effet collatéral des efforts de connectivité pour la conservation, le développement de chaines de valeur de produits forestiers non-ligneux (PFNL) apporte des améliorations pour les communautés en termes d’activités économiques. Un groupement de 55 femmes de Zaïpobly, les Tanties Troti, est soutenu dans son développement pour la production de beurre de makoré et pour sa deuxième activité de pépinière (potentiel de 5 millions de plants produits par an, vendus à des sociétés et coopératives du secteur cacao).
En complément et dans l’esprit des « mesures riveraines » de l’aménagement du PNT par l’OIPR, dans 6 villages, un appui a été donné pour l’élaboration participative de plans de développement local et il se poursuit activement avec des renforcements de capacités pour soutenir la mise en œuvre de ces plans, notamment pour des activités choisies par des volontaires comme l’aulacodiculture (élevage d’aulacodes), l’héliciculture (élevage d’escargots), la pisciculture, la riziculture, l’apiculture …
Enfin, si le projet TGS-GiZ intervient directement en faveur d’une trame verte dans les terroirs villageois ainsi que du développement local dans l’ouest de l’espace Taï, cet espace est aussi concerné par le déroulement du projet TGS-MINEDD-KfW, volet ivoirien du projet « Conservation de la biodiversité dans le TGS ».
Après une étude de faisabilité de 2 ans (2017-2019), un concept de projet de mise en œuvre d’un « corridor boisé » a été validé le long de la rivière Saro, à 3 kilomètres au sud-est de la ville de Taï, dans une zone où la distance entre le PNT et le fleuve Cavally est la plus courte (4 km linéaires le long de la rivière). Avec une largeur de 450 m, le corridor proposé couvre 236 ha.
Le choix des espèces fauniques-cibles (espèces sous les exigences écologiques desquelles nombre d’espèces se retrouveront pour suivre le corridor) pour élaborer le concept de corridor s’est porté sur :
- 3 espèces principales : Eléphant de forêt, Hippopotame pygmée, Cercopithèque diane
- 4 espèces secondaires : Crocodile nain, Céphalophe de Jentink, Chimpanzé, Pintade à poitrine blanche
Les négociations avec les communautés touchées (3 villages et 1 campement), dont plus précisément les personnes affectées par le projet (PAP), ont été conduites pour apprécier les modalités d’indemnisation du changement d’usage de leurs terres ainsi que pour la définition participative des limites du futur corridor. Après accords et indemnisations des PAP en avril 2023, l’Unité d’Exécution du Projet (UEP) a désormais la latitude de mener des actions afin de sécuriser la trame du corridor et de freiner son anthropisation, en attendant sa constitution en Réserve Naturelle Volontaire demandée par les communautés en avril 2022.
Un inventaire floristique détaillé a déjà permis de recenser sur le site la présence de 235 espèces consommées par la grande faune (éléphant, singes dont chimpanzé, céphalophes, hippopotame pygmée), ce qui est un atout. Les réflexions sur les prévisibles conflits homme-faune sont engagées, ainsi que sur la matérialisation des limites, la reconstitution forestière dans le corridor et le développement de l’agroforesterie sur les terroirs voisins.